Trop tard pour se révolter…?

Le jour se lève,

on pense boulot,

on s’ dit qu’il est trop tôt,

trop tôt pour crever,

et pourtant on se lève,

mal au cerveau,

on plie l’échine,

et pourtant on se lève.

Des dettes à en pleurer,

des tumeurs qui pointent avant l’heure,

une douleur dans le ciboulot,

c’est le banquier qui vous a téléphoné plus tôt.

On se dit que demain ce sera la même,

on aime pourtant notre boulot,

mais pas à en crever de si tôt !

La peine qu’on traine,

elle se calcule pas,

se monnaye pas,

pour sur on se ferait notre beurre,

si on pouvait la refiler.

Mais partout elle est la même,

et chacun-e la traine.

Pourquoi parler de soi

quand soi est la norme ?

Piégé, ficelé, ligoté

purée, plutôt mis à mort oui !

Il est trop tôt pour crever,

et pourtant je dois me lever,

endurer, se dire que ce sera la dernière journée.

Se prendre à rêver,

on ne peut plus, on n’arrive qu’à s’imaginer une fin bien méritée,

et comme on est déjà mort et enterrée,

on se prend à rêver d’un bon caveau bien chauffé,

où on pourra enfin se reposer…

pt’être trop tard pour se révolter…

 

Les paysan-ne-s sous le béton ?

Être paysan-ne aujourd’hui, c’est être en colère. La rage devient notre seconde peau. On est en rage de voir tant de terres bétonnées, où disparaissent des fleurs parfumées que l’on ne pourra plus humer, d’insectes à chasser de la main mais aussi à admirer, de haies auprès desquelles on a envie de s’y reposer.

Mais il faut céder, plier sous l’échine du progrès, sous cette espèce de religion qu’ils nomment de différents noms et qui ne contient aucune saveur, aucune réalité, aucune vie.

Ces noms on nous les martèle assez pour comprendre que si ils ne le faisaient pas, on s’en rendrait compte. On sauraient qu’ils ne se mangent pas, qu’ils ne vont pas nous rendre plus heureux, seulement qu’ils participent à la mégalomanie de certain-ne-s et à l’appétit financier d’autres.

Ces noms on a en assez de les avaler et de les subir : « dynamisme, croissance, développement… »

Des noms qui justifient tout et surtout le pire. En contrepartie on nous vend du rêve, des parcs naturels, des petits squares bien proprets, une nature encadrée, surveillé qui ne doit pas sortir des cases où l’on a inscrites. Tiens, cela me rappel les nouveaux quartiers des villes : de petites cases où chacun-ne doit rester à sa gentille place…

Seulement, elles sont chères payées ces zones vertes. On l’oublie juste, car ils se rappellent bien de toujours nous assener ces jolis mots qui ne sentent rien, qui ne vont pas rendre nos vies plus enchantées. Ces mots qui font tant de massacre : « dynamisme, croissance, développement »

Amnésie collective bien entretenue.

A ceux/celles qui ne ressentent plus rien ou qui ne préfèrent ne rien ressentir, on leur donne un chiffre. On espère que les maths vont leur parler, qu’ils vont vite faire le calcul et que leur imagination se mettra à chanceler. « Quoi ?! Comment est-ce possible ? On nous vend notre propre mort ?! » Cela calme notre colère d’imaginer que ce chiffre va en réveiller plus d’un.

Ce chiffre il est simple, tout bête, il ne veut pas dire grand chose et pourtant il peut déjà dire beaucoup : en france, au rythme actuel d’urbanisation, l’équivalent d’un département disparaît sous le béton tous les cinq ans, soit l’ équivalent de la Bretagne en 20 ans !

Mais derrière ce chiffre, il y a bien des choses qui se cachent, des êtres qui n’osent parfois pas hurler leur désespoir ou qui ne le peuvent simplement pas.

Combien de paysan-ne-s exproprié-e-s de leur terre ont préféré se taire par culture de l’humilité mais aussi malheureusement du silence. Des paysan-ne-s arraché-e-s d’une terre qui ne les a pas seulement fait vivre, mais avec qui leur vie, leur pensée, leur histoire s’est construite. Une terre où toute la nature qui s’y épanouit est irremplaçable, non interchangeable. Une terre, qui par son écosystème, a apporté toute sa richesse (non-monnayable) au paysan-ne, mais aussi au territoire qui l’environne.

Une terre n’est pas interchangeable, on vit avec et on ne la quitte pas. Elle est une partie de notre chair, de notre culture et de nos tripes !

Nous la faire quitter, c’est déjà nous tuer d’avance.

Être exilé-e, c’est à ne souhaiter à personne.

Être paysan-ne aujourd’hui, c’est briser ce silence, se battre pour que ce massacre s’achève.

Qu’il ne nous concerne pas directement ne doit pas nous excuser. Il a concerné, concerne et concernera nombre d’entre nous !

Un-e paysan-e vit avec son territoire et le fait vivre. Mais nos territoires sont en survie. Sous perfusion, il sont incapables de délivrer de la solidarité, de la convivialité. Veut-on participer à l’amnésie collective, ou bien plutôt éclater ce consensus pré-formaté ?

 

La terre, et la nature qui y vit, est notre richesse, qu’elle soit notre force et non notre souffrance !

 

Un paysan en colère.

Une liberté de vache !

Un soir dans sa grange,

le bougre se posa au creux d’une meule de foin,

il vit alors sa vache, marguerite, au regard amusé

et osa lui demander :

dam pourquoi ct’yeux vicieux ?

Marguerite s’approcha,

son parfum chargé de lait et de bouse mêlée,

donna un grand coup de queue dans la meule de foin

et meugla au paysan abimé :

regarde toi, toi si fière de tes bras,

si digne par tes travaux de forçat,

bientôt tu finiras de m’exploiter.

Ton fils a parlé la dernière fois,

au creux de cette meule de foin

il m’a doucement murmuré que c’était fini,

que mes pis seront soulagés,

qu’ils cesseront de sentir la pression de tes doigts,

qu’ils seront libérés de ta quotidienne torture, qu’ils…

Mais le bougre l’interrompit et lui dit :

t’sais point qu’ta été berné,

que j comprends ben que t’ l’a pas souhaité d’être traité,

qu’on m’a pas laissé le choix, qu’ j’ai qu’ça pour vivre,

que j’aime t’ dorloter, gouter d’ton bon lait

et respecter la bête que t’es ?

Mais mon fils…ah tu verras,

lui il sera moderne, d’jolis mots à la bouche

qu’la ville lui a apportée

qu’ça cache ben un crasse réalité

plus que ma dignité et ma fierté.

Avec mon fils, ce sera de la modernité,

çà goute de rien ça et ça rend pas heureux

et qu’ca t’rendra pas heureuse pour un sou…

tu verras qu’c’est les jolis mots d’mon jeunot de fou…

 

Des années plus tard, une vache au regard triste, parmi tant de vaches au regard triste.

Elle ne porte plus de nom, un numéro, un numéro parmi tant d’autres.

Parquée, gavée, traitée pour ses seuls pis.

La vache comprends mieux les jolis mots.

Ça la rendra pas libre de sitôt.

Mais la vache suit le troupeau,

elle a pas connu d’autre ruisseau,

elle rejoindra bien un jour ses trop nombreux veaux…