Une liberté de vache !

Un soir dans sa grange,

le bougre se posa au creux d’une meule de foin,

il vit alors sa vache, marguerite, au regard amusé

et osa lui demander :

dam pourquoi ct’yeux vicieux ?

Marguerite s’approcha,

son parfum chargé de lait et de bouse mêlée,

donna un grand coup de queue dans la meule de foin

et meugla au paysan abimé :

regarde toi, toi si fière de tes bras,

si digne par tes travaux de forçat,

bientôt tu finiras de m’exploiter.

Ton fils a parlé la dernière fois,

au creux de cette meule de foin

il m’a doucement murmuré que c’était fini,

que mes pis seront soulagés,

qu’ils cesseront de sentir la pression de tes doigts,

qu’ils seront libérés de ta quotidienne torture, qu’ils…

Mais le bougre l’interrompit et lui dit :

t’sais point qu’ta été berné,

que j comprends ben que t’ l’a pas souhaité d’être traité,

qu’on m’a pas laissé le choix, qu’ j’ai qu’ça pour vivre,

que j’aime t’ dorloter, gouter d’ton bon lait

et respecter la bête que t’es ?

Mais mon fils…ah tu verras,

lui il sera moderne, d’jolis mots à la bouche

qu’la ville lui a apportée

qu’ça cache ben un crasse réalité

plus que ma dignité et ma fierté.

Avec mon fils, ce sera de la modernité,

çà goute de rien ça et ça rend pas heureux

et qu’ca t’rendra pas heureuse pour un sou…

tu verras qu’c’est les jolis mots d’mon jeunot de fou…

 

Des années plus tard, une vache au regard triste, parmi tant de vaches au regard triste.

Elle ne porte plus de nom, un numéro, un numéro parmi tant d’autres.

Parquée, gavée, traitée pour ses seuls pis.

La vache comprends mieux les jolis mots.

Ça la rendra pas libre de sitôt.

Mais la vache suit le troupeau,

elle a pas connu d’autre ruisseau,

elle rejoindra bien un jour ses trop nombreux veaux…